La théorie du « ruissellement » fait chou blanc.

2 Oct

Ce fut la promesse la plus contestée de la campagne du candidat Macron : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Une promesse faite à ses amis et généreux donateurs de sa campagne et sur laquelle il a toujours refusé de revenir malgré les protestations et même les mouvements sociaux les plus violents dont, évidemment, celui des « Gilets jaunes« , il y aura bientôt un an. Une décision qui lui colle encore à la peau sous l’étiquette de « président des riches« .

L’argument d’Emmanuel Macron, pour justifier ce choix contestable, était et reste toujours le même : permettre aux plus riches de nos compatriotes de récupérer une partie de leur contribution fiscale pour l’investir dans l’activité industrielle et la consommation afin de permettre une relance de la croissance économique du pays. Ce principe porte un nom aussi ridicule que trompeur : la « théorie du ruissellement » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_du_ruissellement). Comme d’ailleurs la métaphore, utilisée par Emmanuel Macron lui-même, du « premier de cordée » (https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2018/12/26/la-theorie-du-ruissellement-est-bien-une-arnaque/).

Mais c’est aussi la mesure que les députés de la majorité, manquant cruellement d’arguments pour la justifier lors du premier budget du mandat, à l’automne 2017, s’étaient fait fort de faire évaluer dès que possible. C’était, enfin, l’une des annonces du chef de l’Etat lors de sa conférence de presse post-grand débat national, le 25 avril dernier: « Cette réforme (…) sera évaluée en 2020 et, (…) si elle n’est pas efficace, nous la corrigerons », avait assuré M. Macron pour se donner un peu de temps face à l’adversité.

Le premier rapport du « comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital », censé estimer les effets de la suppression de l’ISF mais aussi de la flat tax, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, a été présenté mardi 1er octobre.

Ce document d’un peu plus de 300 pages ne livre hélas et comme on pouvait s’y attendre aucune réponse tranchée. Réalisé sous l’égide de France Stratégie, le think tank d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon, par une quinzaine de membres – économistes, représentants de l’Insee, du Trésor, de la Banque de France, ou encore du Medef et de la CFDT ainsi que par la députée LRM des Yvelines, Nadia Hai –, le rapport ne permet pas de confirmer les objectifs initiaux de l’exécutif : « Favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation », selon la lettre de mission de Matignon de décembre 2018.

« L’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. – avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure de leur effet réel. En particulier, il n’est pas possible d’estimer par ce seul biais si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises »,concluent les auteurs. « Le risque de déception est inhérent à la démarche elle-même. Mais le temps de l’évaluation n’est pas le temps du politique », explique Fabrice Lenglart, président du comité d’évaluation, qui précise pour se justifier qu’« on ne peut pas se contenter de données macroéconomiques (croissance, investissement) pour évaluer une telle réforme. Il nous faut des données fiscales sur les ménages, qui ne sont pas encore disponibles pour l’année 2018. »

« La fiscalité demande du temps pour produire ses effets. Nous ne disposons que de neuf mois de recul [depuis la constitution du comité en décembre, en pleine crise des « Gilets jaunes »] », plaide Nadia Hai. Pour la députée, « on ne peut pas établir de lien de cause à effet entre le fait de ne plus taxer les plus aisés et l’investissement dans les actifs productifs », mais « le rapport souligne toutefois que la fiscalité française du capital [y compris les impôts sur les sociétés et la taxation des transmissions] était très lourde avant la réforme : à près de onze points de PIB, elle était 2,5 points supérieure à la moyenne des pays européens et les personnes taxées ne créaient plus de richesse. »

En revanche, une chose est déjà certaine :  » On sait qu’il y a eu plus de dividendes versés en raison du PFU. » Autrement dit, ceux qui avaient déjà beaucoup ont reçu encore plus ! Et ce qui est certain aussi, c’est qu’ils ne se sont pas précipités pour investir leurs gains dans l’économie puisque la croissance du pays est en berne et que la consommation des ménages marque le pas. Alors, nous saurons patienter jusqu’au prochain rapport d’évaluation et même si nous ne sommes pas dupes des résultats qui seront observés l’an prochain.

Cette absence de conclusion formelle a d’ailleurs occasionné, jusqu’au dernier moment, des « divergences » sur l’avis à rendre, reflet du caractère toujours politiquement inflammable de la suppression de l’ISF. Ainsi, à l’issue de la dernière réunion du comité, jeudi 26 septembre au soir, ses membres n’avaient pas été en mesure de finaliser le rapport, et la communication autour de sa dernière version a été jalousement gardée. Les auteurs marchaient sur des oeufs…

« La réforme de la fiscalité devait susciter un choc d’entrepreneuriat. Mais elle a eu un coût, d’où la nécessité d’en évaluer la portée », reconnaît-on à Bercy qui refuse encore d’admettre que cette affaire sera l’une des plus grandes impostures du quinquennat Macron.  » Du reste, ce qui compte, ce n’est pas tant de pouvoir dire que Mme Michu a investi tant d’euros dans l’économie. C’est l’effet-signal, comme pour la baisse de cinq milliards d’euros d’impôts sur le revenu », explique-t-on.

Ces difficultés ne sont pas sans rappeler celles de l’évaluation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En dépit de nombreux rapports, les économistes ne sont pas parvenus à déterminer avec précision dans quelle mesure cette réforme-phare du quinquennat Hollande (20 milliards d’euros de baisse de cotisations) a été utilisée par les entreprises pour recruter, investir et doper les salaires, ou pour augmenter leurs marges. Souvenez-vous des professions de foi du patron du Medef, Pierre Gattaz, qui jurait que la mesure permettrait l’embauche d’au moins un million de personnes :

La mesure a par contre coïncidé avec la remontée des profits des sociétés et donc la distribution de nouveaux dividendes. Mais mi-2018, les études faisaient état de seulement « 100 000 emplois sauvegardés ou créés sur la période 2013-2015 ».

Ces gens-là sont des imposteurs.

S’il ne tranchera pas le débat politique sur les conséquences de long terme pour l’économie de la suppression de l’ISF, le rapport de France Stratégie éclaire ses effets à court terme pour les plus riches. Les chercheurs ont, en effet, eu accès à des données inédites du fisc qui leur permettent de dire qu’elle a « favorisé les ménages les plus aisés ». La mise en place du PFU a bénéficié aux 15 % de ménages les plus aisés avec, pour les 5 % les plus riches parmi eux, des gains moyens en termes de niveau de vie de près de 1 000 euros par an. Après la transformation de l’ISF en IFI, quatre ménages gagnants sur cinq se situent parmi les 15 % les plus aisés. « Le gain annuel moyen d’un ménage gagnant est de l’ordre de 6 500 euros », précise le rapport. Nous aimerions pouvoir en dire autant.

Le document met enfin en avant le résultat d’études qualitatives. Notamment sur l’attractivité fiscale de la France auprès des investisseurs qui s’est améliorée depuis deux ans. Mais cette situation s’explique surtout par la flat tax, qui a permis d’abaisser l’imposition des intérêts, dividendes et autres plus-values de cession, et pas nécessairement par la suppression de l’ISF, qui a occasionné un manque à gagner de deux à trois milliards d’euros pour les finances publiques. Les chercheurs ne disposeront pas de résultats probants sur les effets économiques de la suppression de l’ISF avant deux ans, estime M. Lenglart. Soit à l’automne 2021, à moins de six mois du premier tour de l’élection présidentielle.

Nous saurons patienter mais soyez assurés que nous serons vigilants et que nous ne leur ferons aucun cadeau.

Le 2 octobre 2019.

Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.

3 Réponses to “La théorie du « ruissellement » fait chou blanc.”

  1. Hervé J. VOLTO octobre 2, 2019 à 11:52 #

    Cette vigilence du Conseil dans l’espérence du Roi perturbe beaucoups Emmanuel Macron qui parle d’un complot de ce qu’il appelle « L’Etat profond ».

    A deux reprises à mi-aout 2019, le chef de l’Etat a critiqué « l’Etat profond » Français, reprenant les mêmes mots que Donald Trump dénonçant le « deep state ».

    Lors d’une rencontre, mercredi 21 août 2019, avec l’Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron a utilisé à deux reprises les mots d’« Etat profond » à propos des obstacles à sa politique de rapprochement avec Moscou et de la rédaction de communiqués du G7, ajoutant qu’il ne voulait pas être :

    -l’otage de gens qui négocient pour moi !

    Sauf erreur de notre part, c’est la première fois que le chef de l’Etat emploie publiquement ce concept, peu commun dans le vocabulaire politique Français en dehors des cercles complotistes.

    Mais que veut dire « Etat profond » ? L’expression vient de Turquie, où elle a été popularisée dans les années 1990 (« Derin Delvet ») pour désigner les réseaux kémalistes de l’armée, des services de renseignement ou de la justice, qui s’opposaient à la fois à la démocratisation du pays et aux islamistes. Le concept a depuis lors été largement adopté par les politologues, au-delà du cas turc. En 2018, la revue italienne de géopolitique Limes consacrait un numéro entier aux « Stati profondi », qualifiés d’« abysses du pouvoir ». En France, on a longtemps parlé de la « Congrégation », ce « machin » qui empècherait les francs-maçons de dormir la nuit.

    C’est surtout aux Etats Unis que le concept de « deep state » est désormais le plus utilisé. Et, au premier chef, par Donald Trump lui-même, contre sa propre administration. Ainsi, lors d’un meeting en septembre 2018, le président américain dénonçait ces « agents non élus de l’Etat profond qui poussent leur propre agenda secret et sont véritablement une menace pour la démocratie ». Abondamment employé par les réseaux complotistes et conspirationnistes outre-Atlantique, « deep state » a depuis 2018 les honneurs d’une série télévisée britannique sur le monde du renseignement.

    Si Emmanuel Macron reprend à son compte le vocabulaire de Donald Trump, qu’est-ce que cela signifie dans le cas de la France ? Ces récents propos visaient à l’évidence les… diplomates du Conseil dans l’Espérence du Roi qui « renégocient » les communiqués des sommets internationaux ou ceux qui mettent en œuvre les relations avec la Russie.

  2. Hervé J. VOLTO octobre 3, 2019 à 12:21 #

    L’expression est nouvelle, elle radicalise en quelque sorte une idée, notamment soutenue par Pierre Rosanvallon, selon laquelle en France, par exemple, c’est l’administration qui assure la continuité de l’état. Mais là, c’est en quelque sorte l’administration contre le pouvoir. « L’état profond » désigne une organisation anti démocratique, anti démocratique par haine ou par trop plein l’amour pour la démocratie, puisque dans le cas américain —comme désormais dans le cas Français supposé— il s’agirait de faire faire à la nation quelque chose indépendamment de ce qu’a décidé le pouvoir légitime, Trump aux Etats-Unis, Macron en France.

    Le mot est ainsi inédit dans la bouche d’un président Français ! Le 21 août, devant l’Association de la presse présidentielle, juste avant le G7 de Biarritz, Emmanuel Macron a dénoncé « les chicayas des bureaucrates et des Etats profonds » afin de justifier son renoncement au communiqué commun laborieusement négocié entre les délégations qui conclut traditionnellement les sommets. Il expliquait aussi que sa politique de rapprochement avec la Russie se heurtait aux oppositions « des Etats profonds de part et d’autre », à Paris comme à Moscou.

    Entendre le président de la République reprendre par deux fois ce concept cher aux leaders populistes, à commencer par Donald Trump, suscita une certaine surprise. D’autant plus qu’une semaine plus tard, Emmanuel Macron revenait à la charge lors de la conférence annuelle des ambassadeurs et ambassadrices, affirmant que, « comme diraient certains théoriciens étrangers, nous avons nous aussi un Etat profond », et sommant les diplomates de prendre acte de son tournant russe.

    Décrits par leurs adversaires comme des « néoconservateurs », une poignée de diplomates Royalistes occupent aujourd’hui des postes clés au ministère des Affaires étrangères et à celui des Armées. Des postes où ils ont d’ailleurs été nommés depuis 2017, voire très récemment…

    Phantasme ? L’Ordre des Chevaliers de la Foi est une société secrète qui a été fondée en 1810 pour défendre le Catholicisme et la Monarchie Légitime. Durant la période du Premier Empire, il avait pour objectif le rétablissement de la Monarchie Française, puis, durant la Restauration, les Chevaliers se sont organisés dans la tendance parlementaire des Ultraroyalistes, avant de se disperser d’eux-mêmes en 1826, certains rejoigant la Congrégation de la quelles ils étaient issus.

    Au final, « l’état profond » est une manière légitime pour un pouvoir illégitime d’être complotiste. Dénoncer un complot c’est complotiste, dénoncer l’Etat profond, c’est… profond.

  3. Hervé J. VOLTO octobre 3, 2019 à 12:24 #

    Un dernier pour la route…

    Pour ce qui est du ruissellement, comme de la polique étrangère, soyez-bein sur que « L’Etat profond », sil existe, restera vigilant et qu’il nous ne fera aucun cadeau à la Macronie.

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