L’Etat est en faillite. Il lui faut donc tenter de sauver ce qui peut encore l’être et la loi de finances 2013 vous a montré de quoi l’oligarchie au pouvoir est capable. Vous avez sans nul doute mesuré et apprécié à leur juste valeur les méthode employées et que l’on peut qualifier d’ « orthodoxes« : quelques économies budgétaires (largement insuffisantes cependant) et de considérables prélèvements fiscaux. Le résultat ne se fait pas attendre: l’économie est asséchée et la récession s’installe.
Comme la plupart d’entre vous s’en doutent, ces moyens s’avèreront donc rapidement insuffisants. Aussi, attendez-vous à ce que d’autres méthodes nous soient imposées. Nous les qualifierons de « non orthodoxes« .
En Europe, en particulier, les gouvernements, qui se sont engagés sur la voie de l’assainissement budgétaire alors que leurs économies étaient encore faibles, sont maintenant aux prises avec les répercussions sur la croissance. En conséquence, la stabilisation de la dette semble être une cible de plus en plus difficile à atteindre.
Aux États-Unis, l’assainissement a à peine commencé. Parce que l’économie privée est maintenant plus forte, le pays peut bénéficier de conditions plus favorables en terme de croissance, mais l’ampleur de l’austérité budgétaire nécessaire – plus de dix points de pourcentage du PIB, selon le FMI – est effrayante. Au Japon, rien n’a été fait à ce jour et l’importance de l’effort requis défie l’imagination.
Officiellement, tous les gouvernements des pays avancés restent engagés à accepter la douleur de l’ajustement. Mais combien d’entre eux s’épuiseront avant que ce programme soit réalisé dans son intégralité ?
En vérité, tôt ou tard, volontairement ou non, certains auront besoin de recourir soit à l’inflation soit à des mesures administratives destinées à capturer l’épargne nationale en vue de financer l’Etat et de garder des taux obligataires faibles (ce que les économistes appellent la répression financière). Sans exclure pour autant, de manière ultime, de recourir à la restructuration pure et simple de la dette voire à prononcer le défaut de remboursement.
Chacun de ces trois remèdes a été utilisé durant des crises de la dette antérieures. Ils peuvent être considérés comme des formes de taxation, même s’il s’agit d’une taxation plutôt implicite qu’explicite. En fin de compte, ce sont différentes méthodes pour forcer les générations actuelles et futures à assumer le fardeau de la dette qui s’est accumulée (pour les raisons que vous savez et qui ne sont pas de la responsabilité des peuples mais de leurs gouvernants).
Est-il préférable de choisir un ajustement complet ? Ou, est-il conseillé de mélanger l’assainissement avec une dose de remède alternatif ?
Sur ce point, la discussion est souvent formulée en termes moraux. L’ajustement, nous dit-on, est moralement louable, tandis que toutes les alternatives impliquent de répudier les contrats que les gouvernements ont conclus avec les créanciers obligataires.
Cela peut être vrai, mais les gouvernements se soucient plus de leur réélection que des principes moraux. Il est donc utile de discuter en termes purement économiques ce qu’impliquent les choix orthodoxes et non orthodoxes du point de vue de l’équité et de l’efficacité.
Commençons avec l’équité. De ce point de vue, l’ajustement est difficile à battre. La combinaison de la fiscalité et des réductions de dépenses permet de distribuer avec précision la charge de l’ajustement. La décision appartient au législateur. Certains ajustements, comme en France aujourd’hui, pèsent surtout pour le moment (mais ne rêvons pas) sur les individus à gros et moyen revenus; d’autres, comme en Italie, pèsent sur les retraités. Ces choix ont été faits démocratiquement, au sein des parlements, dans le cadre de décisions budgétaires. Encore faut-il en avoir le temps et les moyens. L’exemple de la Grèce est édifiant sur ce plan.
Par contre, les techniques non orthodoxes sont moins précises et plus opaques. L’inflation affecte toutes les personnes qui détiennent des actif (liquidités, obligations) ou des revenus (salaires, revenus de comptes d’épargne) qui ne sont pas indexés (ou sont imparfaitement indexés) par rapport au niveau des prix. En revanche elle allège les dettes personnelles. La répression financière est essentiellement une forme de taxation administrative de l’épargne intérieure. Quant à la restructuration, elle correspond à un prélèvement sur la richesse des obligataires, y compris l’épargne-pension de la classe moyenne: la restructuration concentre le poids de l’ajustement sur les personnes qui détiennent des obligations émises avant une certaine date limite et provoque ce que Keynes appelait « l’euthanasie du rentier ». Mais, lorsque le poids de la turpitude passée est trop lourd, il peut s’agir de la seule solution pour protéger les générations futures.
En revanche, pour les contribuables, c’est une formule alléchante, surtout quand une part importante de la dette est détenue en-dehors du pays !
Passons à présent à l’efficacité. Des ajustements à grande échelle peuvent affaiblir la capacité d’une économie à générer de la croissance, parce que des impôts élevés découragent les investissements ou parce que des coupes dans les dépenses publiques érodent la qualité des infrastructures et de l’éducation. Toutefois, tout cela s’applique également aux remèdes non orthodoxes.
La répression financière introduit des distorsions en canalisant l’épargne vers le financement du budget et au détriment des investissements. L’inflation implique une augmentation des taux d’intérêt à long terme, jusqu’à ce que les marchés reprennent confiance dans la banque centrale (à condition que celle-ci soit efficiente et non pas assujettie à la BCE par exemple). Quant à la restructuration, elle affaiblit les banques, qui détiennent généralement d’importants portefeuilles d’obligations d’état, ce qui les rend moins aptes à financer l’économie.
Cependant, une exception peut être présentée. Lorsque les secteurs public et privé sont tous deux surchargés de dette, l’ajustement conduit à une spirale de déflation par la dette, en particulier lorsqu’il est réalisé sous un régime de taux de change fixe. Dans ces conditions, un ajustement complet risque de devenir autodestructeur, ou au moins déraisonnablement difficile, comme l’illustre le cas de la Grèce. En dépit de leurs coûts économiques, la restructuration de la dette publique ou l’érosion de toutes les dettes publiques et privées à travers l’inflation peuvent se révéler des options moins néfastes.
En fin de compte, les alternatives à l’ajustement ne sont pas tendres. A part dans des situations extrêmes, elles sont moins performantes que l’ajustement budgétaire du point de vue de l’équité et ne sont pas préférables en termes d’efficacité. Par conséquent, l’idée qu’elles offrent un moyen facile de sortir de situation actuelle que connaissent les pays avancés est discutable. Mais pourra-t-on y échapper ?
En réalité, il ne faut pas s’y tromper. Nos gouvernants sont moins scrupuleux qu’on pourrait l’espérer et ils sont, pour la plupart, prêts à tout pour conserver leurs prébendes. Tant qu’ils seront assujettis aux règles imposées par l’Union européenne et la zone euro, ils en resteront aux méthodes « orthodoxes ». Mais si les circonstances économiques et financières devenaient insupportables, ils se tourneraient à coup sûr vers les méthodes « non orthodoxes ». Toutefois, il faut être conscient que, dans tous les cas, une de ces méthodes reste « un fer au feu », applicable brutalement et sans préavis, la répression financière. C’est à dire la captation administrée de notre épargne et sa dévolution au budget de l’Etat. Ce vol ne les effraie pas. Aussi, restez méfiants vis-à-vis de vos assurances-vie par exemple…
* Communiqué rédigé à partir des éléments d’un entretien de Jean Pisani-Ferry, Directeur de l’Institut Bruegel.
Le 9 janvier 2013.
Conseil dans l’Espérance du Roi.
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