La gestion actuelle de la pandémie constitue une bombe à retardement en cancérologie.

16 Mar

Depuis un an nous dénonçons les dangers des déprogrammations chirurgicales et le « triage » des patients qui permettent, aux yeux des pouvoirs publics, de soulager les services de réanimation encombrés par les malades du Covid-19 (démontrant ainsi la paupérisation de nos hôpitaux, sciemment organisée depuis des décennies). Mais il y a pire encore : c’est la désorganisation du dépistage et du diagnostic des cancers et les retards thérapeutiques qui en résultent. Nous avions d’ailleurs, à ce propos, déjà publié en avril 2020 l’article suivant : https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2020/04/17/voulez-vous-un-conseil-ne-developpez-pas-un-cancer-en-ce-moment/.

Or, contrairement à ce que l’on aurait pu espérer, ces mises en garde n’ont engendré aucune amélioration de la situation en la matière. Et, ce, malgré d’autres alertes et indignations dont, en particulier, celles du professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer : https://www.francetvinfo.fr/sante/cancer/deprogrammation-d-operations-a-cause-du-covid-19-des-milliers-et-des-milliers-de-personnes-periront-de-leurs-cancers-dans-les-5-6-ans-previent-axel-kahn_4326127.html .

« En septembre 2020, j’ai vu arriver en consultation des patients avec des cancers avancés, bien plus nombreux que d’ordinaire », témoigne Sarah Watson, oncologue à l’Institut Curie. Ils avaient présenté des symptômes dès février ou mars mais, avec le premier confinement, « ils se sont terrés chez eux ou se sont heurtés aux difficultés d’accès aux soins ».

Tel cet homme de 30 ans qui a cherché, en vain, à consulter un médecin pour des douleurs dans le bassin. « Ça va attendre », a-t-il pensé. En septembre, très amaigri et pouvant à peine marcher, il consulte à Curie. Le scanner révèle les métastases diffuses d’un sarcome osseux. Telle, aussi, cette femme de 65 ans qui présentait des douleurs abdominales en mars-avril. Le rendez-vous de consultation traîne. En septembre, le diagnostic tombe : cancer du pancréas avancé.

« Dans les deux cas, ces patients étaient dans un état si altéré que seule une prise en charge palliative a pu leur être proposée, déplore Sarah Watson. Six mois plus tôt, ils auraient peut-être pu bénéficier d’une prise en charge curative et très certainement, d’un traitement spécifique. »

Peut-on chiffrer l’ensemble des retards en 2020 ? La consommation de produits d’imagerie médicale en livre un aperçu. « Dès le début du premier confinement en France, il y a eu un effondrement des délivrances de médicaments utilisés pour les diagnostics médicaux », note Epi-Phare (structure d’expertise publique en pharmaco-épidémiologie) dans son rapport sur l’usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19. Cet effondrement a été suivi d’une très lente remontée durant l’été, puis d’une rechute lors de la deuxième quinzaine du deuxième confinement. Au total, entre le 16 mars et le 22 novembre 2020, le nombre de préparations pour coloscopie a baissé de 206 000 ; celui des produits iodés pour scanner de 370 000 ; et celui des produits de contraste pour IRM de 210 000.

L’impact du Covid-19 a aussi été mesuré dans les centres de lutte contre le cancer – un quart des patients français y sont pris en charge. Résultats : « Entre janvier et juillet 2020, le nombre de nouveaux diagnostics a chuté de 6,8 % », résume le professeur Jean-Yves Blay, président de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Unicancer). Mais les données nationales, elles, sont plus sombres : pour l’ensemble des patients en France, cette chute atteint 23,3 % en 2020.

En toute logique, elle s’est traduite par un déclin des activités chirurgicales en oncologie. Prenons le cancer du poumon. Un registre national, Epithor, collige l’activité nationale de chirurgie thoracique. « Il montre clairement l’impact des deux premières vagues. En 2020, on observe un déficit de 1 000 interventions pour cancer du poumon sur la France entière. Soit une baisse de 10 % par rapport à l’attendu », indique le professeur Pascal Thomas, chef du service de chirurgie thoracique à l’hôpital Nord de Marseille. Que sont devenus ces patients « sortis des radars » ?

Et quel peut être l’impact des retards de diagnostic sur la mortalité ? « C’est difficile à chiffrer », admet Jean-Yves Blay. Une récente analyse a passé en revue toutes les études publiées entre 2000 et 2020 (Hanna T. et al, BMJ, 2020). Verdict : pour chaque mois de retard de diagnostic, la mortalité augmenterait de 6 % dans les années à venir, pour les cancers du sein, du côlon, de la vessie, de la prostate, du poumon et ORL. « Sur cette base, et d’après la chute de 6,8 % des diagnostics sur les sept premiers mois de 2020, nous prévoyons 1 000 à 6 000 morts en excès dans les années à venir », souligne Jean-Yves Blay. Une estimation optimiste : la baisse nationale, on l’a vu, est de 23,3 %.

En d’autres termes, on ne mourra peut être pas du coronavirus mais à coup sûr d’un cancer !

Autre effet de la pandémie, moins visible : entre janvier et mai 2020, le nombre de nouveaux essais cliniques en oncologie a chuté de 60 %. C’est ce que révèle une étude américaine publiée le 27 janvier dans JAMA (Lamont E. et al). « Le Covid-19 pourrait avoir des effets indirects à long terme, liés à l’arrêt du développement de médicaments contre le cancer », estiment les auteurs. Une certitude : « Nous allons devoir vivre avec ce virus plusieurs années, précise le professeur Fabrice André, directeur de la recherche de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif). Il va donc falloir nous adapter

Voir ainsi s’effondrer un demi-siècle d’efforts et de progrès, des méthodes de dépistage précoce des cancers à leurs prises en charge thérapeutique les plus variées et les plus sophistiquées, nous consterne…

Quel gâchis ! Mais quelle responsabilité aussi pour ceux qui gouvernent.

Le 16 mars 2021.

Pour le CER, Hippocrate, Conseiller à la santé publique.

2 Réponses to “La gestion actuelle de la pandémie constitue une bombe à retardement en cancérologie.”

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  1. Le « tri » des patients en réanimation n’est rien d’autre que de l’EUTHANASIE. – information nationaliste - avril 1, 2021

    […] « Tout cela veut dire 400% du capacitaire normale de la réanimation, Sachant qu’il y a en même temps la traumatologie, la cancérologie qui tournent. Pour être très concrets, on a programmé la fermeture de la moitié des blocs. Il y a des chirurgies où c’est facile, telle une prothèse de hanche, ou une vésicule biliaire. Mais ce n’est pas ce choix là qui va devoir être fait, c’est celui entre deux patients cancéreux, qui au lieu d’être opérés auront de la radiothérapie et c’est ça qu’on ne veut pas« , témoignait l’infectiologue Gilles Pialoux, mardi matin sur France Inter.(Ne manquez pas de relire nos deux articles suivants : https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/03/09/il-est-urgent-de-rester-en-bonne-sante/ et aussi https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/03/16/la-gestion-actuelle-de-la-pandemie-consti… ). […]

  2. La bonne blague d’Emmanuel Macron. – information nationaliste - avril 2, 2021

    […] encore de déprogrammations chirurgicales avec les conséquences dramatiques que l’on sait – https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/03/16/la-gestion-actuelle-de-la-pandemie-consti… – ), Emmanuel Macron a évoqué des initiatives supplémentaires, comme « l’ouverture de […]

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